Beau is afraid, 2023

Après une bande annonce alléchante qui n’était pas sans s’inspirer de l’incroyable Everything, Everywhere, all at once, l’attente autour de Beau is Afraid était à son comble. Mais le film remplit-il vraiment ses promesses ?

Les premières scènes du film sont très immersives nous plongeant dans la psyché dérangée du protagoniste. Cherchant à rendre vivante ses peurs, le film s’appuie à la fois sur une mise en scène inventive de son réalisateur qui nous avait déjà donné à voir sa capacité en la matière dans ses ses précédents films, mais aussi sur le talent de son comédien principal, Joaquim Pheonix. Malheureusement au fil des trois heures de film, la déception finit par poindre pour durablement s’installer.

Joaquin Phoenix Photo Credit: Takashi Seida © Mommy Knows Best LLC BEAU IS AFRAID réal. : Ari Aster. int. : Joaquin Phoenix, Nathan Lane, Patti LuPone, Amy Ryan, Denis Ménochet. pays : Canada, États-Unis. durée : 2 h 49. dist. : ARP Sélection Sortie en salle le 26 avril 2023

Manifestement ce film rassemble 2 à 3 idées de films comme en témoigne le nombre d’heures qu’impose le visionnage… 3 heures c’est beaucoup trop long ! On pourrait aisément couper le film en 4 segments :

La première partie étant Beau dans son appartement, face à ses peurs, où la maestria de mise en scène est la plus forte. Tout bouge, Beau, ce qui l’entoure, la caméra qui le suit. C’est magistral sur le plan de la mise en scène, le jeu du comédien vient s’ajouter comme une cerise sur le gâteau. On ne peut qu’être en empathie avec le protagoniste. Le décor évolutif aussi joue beaucoup. Les peurs paniques du protagonistes prennent littéralement vie et l’on ne peut qu’être admiratif du talent du réalisateur en ce qui concerne cette première partie. Le must étant qu’il brasse à la fois l’humour, la terreur, la tristesse, tout en restant somme toute réaliste avec une pointe d’humour absurde venant nous cueillir.

La seconde partie étant Beau chez les bourgeois où la folie contamine un décor pourtant bucolique et posé. La mise en scène est plus posée reposant de beaucoup sur les arrières plans et l’utilisation d’éléments venant du burlesque. La folie ronge peu à peu l’entourage de Beau, ce dernier est alors plus passif. Il est à noter que les transitions basculant d’une scène à l’autre avec un Beau figé impliquent visuellement un passage du temps échappant au protagoniste. Niveau rythme on perd déjà un peu, mais la mise en scène reste de haute volée. La rencontre entre le surréalisme et le burlesque est réussie.

La troisième partie est encore plus bucolique puisque dans la forêt, les références au Magicien d’Oz sont très nombreuses, mais pour autant, le choix de raconter une histoire dans une histoire rend la mise en scène encore plus posée pour ne pas dire théâtrale. Si les passages en animation sont assez chouette et bien réalisés, il n’en demeure pas moins qu’on perd complètement le fil. Il n’y a plus ni folie ni peur, seulement le désespoir. Quid du lien avec ce qui a précédé ? Une maigre tentative de transition est expédiée comme la menace du militaire fou, très rapidement. L’ennui commence déjà à s’installer et le spectateur à s’interroger.

La quatrième partie bascule vers la biographie du protagoniste qui parvenant à la fin de son voyage, se revoit enfant, dans un décor de carte postale. Son incarnation très maquillée dérange, mais ce qui suit perturbe encore plus le spectateur. La poursuite d’une romance enfantine puis l’affrontement avec l’ogresse de mère est complètement freudien. Inutile d’avoir suivi un cycle de thérapie pour reconnaitre tous les éléments freudiens: la sexualité, la mère. Qui ici seront littéralement mêlé dans des scènes souvent gênantes, pas toujours pertinentes. Le tout dans un décor qui va devenir de plus en plus théâtrale. Lieu unique, caméra fixe qui tourne autour d’elle-même, personnages pas toujours bien cadré.

Une dernière partie s’adjoint, la fin. Celle-ci bascule dans un autre décor, prenant la forme d’un procès qui, là encore, n’a que peu de lien avec ce qui a précédé. Si l’on est supposé être dans la psyché de Beau, celui-ci n’est plus qu’une tâche insignifiante vouée à disparaitre dans un plan large désespérément fixe. Le décor monumental est malheureusement bien trop numérique (on le sent en particulier dans le mouvement répétitif des personnages en arrière plan). Enfin, on regrettera qu’il n’y ai pas eu un seul plan sous l’eau. Quitte à poser son personnage sur un fond noir, autant y aller jusqu’au bout.

Il en résulte une impression des plus frustrantes d’un film boursoufflé de l’ambition inachevée de son réalisateur. Ce dernier n’a visiblement pas su choisir ce qu’il voulait raconter. Partagé entre ses différentes idées, il décide de toutes les poursuivre les unes après les autres donnant lieu à un très long périple où les transitions sont complètement absentes. Ce qui pourrait donner un ton absurde intéressant, à la façon d’un Quentin Dupieux. Cependant ici, l’absurdité semble subie, due plutôt à un défaut de réflexion aboutie et à l’incapacité du réalisateur à raccorder les morceaux d’idées bien trop éparses.

Impossible de ne pas s’interroger ces choix ou l’absence de choix. Pourquoi débuter avec des séquences aussi rythmées pour s’achever avec une mise en scène très plate et littéralement composée de tout ce qu’il ne faut pas faire au cinéma (à savoir une mise en scène théâtralisée ?). Si manifestement, il y a de la très grande inspiration, impossible de ne pas songer à Luis Bunuel ou à David Lynch, c’est dans l’accomplissement que le film est raté. Pourtant les moyens mis en place sont évident, les décors magistraux, la lumière, les comédiens, tout était là. Le problème étant qu’il vient de l’origine du projet et du non choix de son réalisateur.

Le résultat est donc décevant. Le début sur les chapeaux de roues abouti à une fin plate et ratée. Le film est de plus bien trop long pour être digeste. Le problème étant qu’Hollywood semble convaincu que faire durer les films 3 heures est une bonne idée. Pourtant, cela ennui autant les salles de cinéma qui ne peuvent pas programmer beaucoup de séances dans la journée (d’ailleurs Beau est déjà dans les petites salles des plus grands cinéma de Paris, relégué à une séance dans la journée) comme les spectateurs qui doivent consacrer une demi journée ou toute leur soirée au film… Impossible en l’état de ne pas en vouloir au film quand celui-ci est raté, de nous avoir fait perdre 3 heures de notre vie. C’est le sentiment que j’ai eu à la fin.

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